« ce que tu as caché aux sages et aux savants, tu l’as révélé aux tout-petits ».
Mgr Le Gall raconte que le père Abbé de Solesmes disait un jour à propos d’un polytechnicien : « il sait tout mais rien de plus ». Ce rien de plus, ce supplément insaisissable, c’est cette part que Dieu nous donne de connaître, cette part de connaissance qu’il révèle à ceux qui ouvrent leur cœur à son amour, humblement. Germaine n’a pas fait Polytechnique, ni l’Ena et pourtant depuis 1644 elle nous rassemble, ici, elle nous accompagne, elle nous enseigne. Cachée aux yeux des hommes elle a déployé dans son cœur, sa capacité d’aimer, sa capacité de connaître ce que les sages et les savants ne voient pas. Ainsi Dieu lui a révélé sa Sagesse … au point que toute sa vie affirmait de tout son être l’exhortation de saint Paul aux Romains « qui pourra nous séparer de l’amour du Christ, la détresse ? la persécution ? la faim ? le dénuement ? »
Les 22 années qu’elle a passées dans ce paysage n’ont pas été faciles, malade, un bras handicapé, malaimée par la seconde épouse de son père, elle est allée confier son fardeau dans le cœur du Christ « venez à moi je vous donnerai le repos ». Ce repos, ce shabbat où l’homme vient se reposer en Dieu et Dieu vient reposer l’homme. Elle l’a vécu intégralement, elle n’avait pas d’autre choix ou bien elle se laissait anéantir par les épreuves ou bien elle rendait le bien pour le mal et pour cela elle savait ce qu’il fallait faire, tout déposer dans le cœur de Jésus, le maître du shabbat. « Je vous donnerai le repos ». Ce repos, cette paix profonde personne ne peut y toucher, personne ne peut nous l’enlever, elle est le Cœur de Jésus au cœur de notre cœur. Simplement poser sa tête sur le cœur du Christ comme saint Jean le disciple bien-aimé.
Ce cœur qui nous invite sans cesse : « venez à moi vous tous qui avez soif », vous qui l’aimez sans l’avoir vu comme le dit la lettre de Pierre. Cette paix ne peut pas lui être enlevée et Dieu l’y garde sans cesse. L’anecdote du pain dans son tablier qu’elle voulait porter aux plus pauvres qu’elle, y avait-il plus pauvre qu’elle ? La méchanceté de la marâtre l’oblige à ouvrir son tablier et des roses apparaissent comme au Mexique dans la tilma du pauvre Juan Diego…
Ce sont des signes qui ne trompent pas. Notre être ne se limite pas à son apparence physique, notre être ne peut pas s’enfermer dans un algorithme, il est comme le dit saint Paul pétri de ciel, il est spirituel, ce qui donne une profondeur et une richesse extraordinaires à notre vie. Si nous nous arrêtons à la pauvre apparence de Germaine, nous la dédaignerons comme sa famille l’a fait, la laissant mourir seule sans affection ! Elle ne se montrait pas, sa maladie la faisait se tenir cachée mais au lieu d’en éprouver de l’amertume elle a transformé son mal en bonté, elle a laissé peu à peu l’amour divin envahir tout son être. Si tu imites Dieu en ce qui est conforme à ta nature et ne dépasses pas tes ressources, tu revêts comme un vêtement la forme bienheureuse de Dieu (Grégoire de Nysse). C’est-à-dire que si tu imites Dieu avec ce que tu es, pour Germaine malade, handicapée, exclue sans chercher à être autre, eh bien tu rayonnes Dieu.
Par le baptême nous avons revêtu le Christ, par notre vie de chrétien nous sommes comme lui chacun selon notre singularité, comme nous sommes, petit, grand, beau moins beau, nous sommes appelés comme Germaine à nous revêtir pleinement de cet amour gratuit.
Pour vivre de cet amour, il faut se dépouiller de nos richesses de nos égoïsmes, il faut se dépouiller même de nos souffrances, ne pas s’en plaindre mais les offrir, il faut entrer dans le don de soi, lekh lekha (quitte-toi toi-même dit Dieu à Abraham) comme Germaine va donner au plus pauvre ce qui lui est nécessaire. « Quitte-toi, toi-même » et pose les armes de l’individualisme, de la coquetterie, de l’orgueil personnel, de son « c’est mon choix », « c’est ma vérité » « c’est mon droit ». Il faut poser les armes, il faut laisser cette étonnante puissance de l’amour agir en nous comme Germaine qui confiante plante sa quenouille au milieu des moutons qu’elle garde pour courir comme au chapitre 4 du Cantique des Cantiques vers son Bien aimé vers son Seigneur et les moutons sont gardés …cette quenouille, plantée comme le serpent d’airain de Moïse dans le désert, écarte les morsures et les loups. Et la rivière s’ouvre pour la laisser passer. Quel miracle ! Oui mais c’est parce qu’elle s’est dépouillée d’elle-même de son quant à soi de l’opinion qu’elle se fait d’elle-même, du regard blessant des autres qu’elle peut franchir la rivière comme les Hébreux la mer Rouge.
Ici à Pibrac, la nature est douce, sereine, elle rappelle certains endroits de la Toscane. Germaine bergère y a vécu au rythme des saisons comme dans un jardin d’Éden d’une certaine manière, dans un mode de vie naturellement écologique. Cet équilibre dans lequel elle vivait disait Dieu à chaque instant, la nature l’accompagnait paisiblement comme ces saints moines du désert qui apprivoisaient les lions et transformaient le désert en jardin. La présence verdoyante de Germaine ici peut nous enseigner que d’être simplement là au cœur de la création la présence rayonnante du Créateur peut changer bien des choses, produire le miracle des fleurs.
Daniel Facérias, diacre