Ste Germaine
15-6-25
La découverte du corps intact de la petite Germaine Cousin, quarante ans après sa mort, marque le début du rayonnement de cette jeune fille pauvre parmi les pauvres ; mais il a fallu du temps pour mettre en lumière cette petite solitaire, handicapée, atteinte d’une maladie de peau, mise à l’écart par sa marâtre, mal logée, mal nourrie, sans autre appui que Dieu. Ce sont les grâces, les miracles obtenus par son intercession qui révèlent cette âme pure éprouvée par les conditions de vie dans lesquelles son entourage l’a maintenue. Elle qui n’était rien, elle a attiré les foules à Pibrac pour rendre grâce ou demander son intercession. Elle a souffert, mais son cœur ne s’est pas aigri, au contraire, elle s’est ouverte à Dieu et s’est laissée transformée par son amour. Dans la souffrance il arrive que l’on se durcisse, que l’on se ferme, que l’on devienne agressif, mais Ste Germaine s’est confiée à Dieu, s’est unie au Christ souffrant, et sa vie est devenue féconde. Dieu l’avait choisie, elle a appris à se décentrer d’elle-même et à Lui faire confiance ; elle a goûté une paix profonde et des joies spirituelles, elle a combattu le bon combat de la foi et elle a vaincu, dans la discrétion, à l’insu de tous.
Quel est son message ? Elle a cru en Dieu ; elle a accepté ses conditions de vie sans se révolter, sans chercher un ailleurs, sans envier les riches. Elle a trouvé Dieu dans le réel de son existence, dans la prière et le silence, alors qu’elle gardait les moutons, à l’église vers laquelle elle courait pour participer à la messe, sur son lit de fagots, sous l’escalier de la bergerie où elle rentrait les moutons le soir. Elle, qui n’avait rien, a découvert le vrai trésor, celui qui ni les voleurs, ni la rouille, ni les mites ne peuvent atteindre. Dieu est dans le présent de nos vies, dans nos joies et nos peines ; ne Le cherchons pas ailleurs. N’ayons pas d’autre ambition que de Lui plaire, de faire sa volonté. Or la volonté de Dieu nous est indiquée entre autres dans le réel de nos vies, déjà à partir du donné de départ : ce que nous avons reçu de nos parents en bien ou en moins bien, – et de qui Germaine était-elle la fille ? nous ne le savons pas très bien- ; les conditions physiques, matérielles, intellectuelles, dans lesquelles nous venons au monde. Il y a un donné de départ que nous ne pouvons pas renier. Nous ne pouvons pas changer le réel : nous pouvons chercher à l’améliorer, et nous sommes appelés à faire fructifier les talents que nous avons reçus, mais c’est toujours à partir d’un donné de départ. C’est à partir de ces conditions concrètes que Dieu nous appelle à un chemin de sainteté.
Rendons grâce à Dieu pour ce que nous sommes et ce que nous avons, et faisons des conditions qui sont les nôtres des occasions de L’aimer et d’aimer notre prochain. Acceptons nos pauvretés intellectuelles, matérielles, psychologiques, spirituelles ; apprivoisons-les, sans nous y complaire, et faisons confiance à Dieu. Quand on est centré sur soi, on est toujours malheureux, jamais satisfait ; quand on se décentre de soi-même pour se tourner vers Dieu et le prochain, on trouve la paix du cœur et la joie.
Dieu a un amour de prédilection pour les pauvres, car Lui-même donnant tout et se donnant Lui-même est pauvre, comme le Christ nous en a témoigné. Dieu choisit les pauvres car ils ont le cœur ouvert, et Il peut déployer sa puissance en eux. Dieu nous parle par les pauvres, car ce qu’Il a caché aux sages et aux savants, Il le révèle aux tout-petits. La transmission de sa Parole est plus assurée par les pauvres que par les intellectuels qui s’approprient sa Parole vivante pour en faire des concepts ; ils la stérilisent et la mettent en bocal. Voilà pourquoi les vrais théologiens ne peuvent être que des pauvres de cœur qui font de la théologie à genou, c’est-à-dire en implorant humblement les lumières auprès de Dieu.
Le chemin de la vie, le chemin du bonheur, passe par la pauvreté de cœur : dans l’évangile selon St Matthieu, c’est la première béatitude, « heureux les pauvres de cœur, le royaume des cieux est à eux ». Le chemin de la vie conduit à descendre en nos cœurs, avec leurs étroitesses, leurs mesquineries, leurs péchés, mais aussi avec la présence de Dieu qui ne cesse de nous aimer et de nous dire que nous valons bien plus que nos misères. Cette pauvreté intérieure nous remet dans la réalité de ce que nous sommes ; elle nous conduit à être vrais. Trop de gens vivent avec un masque, ils vivent dans un personnage, par peur du regard des autres, ou pour donner aux autres ou se donner à eux-mêmes une image améliorée d’eux-mêmes. Mais Dieu n’aime pas les masques, Il n’aime pas un idéal, une image, Il aime les personnes concrètes que nous sommes, avec leurs pauvretés et leurs richesses. Soyons vrais, nous aussi, sous le regard de Dieu ; c’est le meilleur moyen de nous libérer du regard des autres.
La force de Ste Germaine, dans sa pauvreté, c’est qu’elle est appuyée sur Dieu. Ainsi elle développe un sens de la grandeur de Dieu, le sens de la Présence de Dieu, aux champs, à l’église, dans sa bergerie. Dieu est premier servi, et quand la cloche de l’église sonne, c’est un appel impérieux. Elle obéit à Dieu, par amour, elle fait sa volonté, par amour. Elle n’a d’autres désirs que Lui. Dans ses épreuves, elle a appris que « Dieu seul suffit », comme le disait Ste Thérèse d’Avila.
Acceptons, nous aussi de descendre dans nos pauvretés, de ne plus les occulter, et de les remettre au Seigneur, pour qu’Il y déploie sa puissance. Sainte Germaine, grande sœur dans la foi et la confiance en Dieu, prie pour nous ! Amen !
+ Guy de Kerimel
Archevêque de Toulouse